Qui sont-ils ? Ils font partie de la jeunesse sur lequel notre pays doit miser. Ils habitent dans des quartiers populaires devenus depuis plus de trente ans des cités ghettos où sévit la misère sociale, affective et sexuelle.
Ils s'appellent Nadir, Sébastien, Cynthia, Dialo ou Nadia. Ils sont blacks, blancs ou beurs. Certains rasent les murs, le regard fuyant. D'autres se la jouent virils et vont même jusqu'à casser du pédé à l'occasion. Mais tous ont en commun le mensonge et la schizophrénie liés à leur double vie et à la peur d'être démasqués.
Tous vivent dans des quartiers où la modernité n'a pas pénétré et qui ont en conséquence produit une "culture de la cité basée" sur le rapport de force permanent, le contrôle social et communautaire. Dans ces cités où l'hypervirilité et le machisme sont des valeurs suprêmes, l'homosexualité est considérée comme une déviance qu'il convient de rejeter, de bannir : l'homo est un faible qu'il faut écarter ou punir !
Oui, monsieur le ministre, être gay ou lesbienne aujourd'hui dans nos cités est passible des pires rétorsions. Le scandaleux refus du club de foot Bebel Créteil de jouer contre l'équipe du Paris Foot Gay n'est-il pas l'illustration la plus flagrante de l'instrumentalisation de la culture et de la religion par des mouvances intégristes qui enrôlent des jeunes en manque d'identité, frappés par les discriminations et le chômage de masse ?
Certes l'homophobie n'est pas le seul apanage de nos cités, mais comme le révèle les travaux de l'association SOS Homophobie, les agressions homophobes dans les quartiers ghettos sont d'une violence morale et physique supérieure à celles subies dans d'autres territoires et proviennent pour la plupart de l'entourage immédiat des victimes.
Bien plus que la politique de la ville, qui s'est révélée depuis trente ans inefficace dans la lutte contre la ghettoïsation, nos espoirs se tournent aujourd'hui vers l'éducation nationale, qui est le cadre adéquat à la pédagogie du respect et de la lutte contre l'ignorance.
Dans une société "hétéro-centrée", il faut aborder, avec les enfants dans les écoles primaires, les adolescents dans les collèges et lycées, l'homosexualité et au-delà l'acceptation des diversités et des différences.
Or, la question de l'homosexualité est la grande absente de l'éducation nationale. En dépit de circulaire alibis, l'institution reste d'une grande pudibonderie.
Il faut aujourd'hui que l'école sorte de son conservatisme et s'engage dans une véritable lutte contre l'homophobie.
Les enseignants et le personnel éducatif que j'ai rencontrés lors de mon enquête pour l'écriture d'Homo ghetto sont volontaires mais s'avouent démunis de matériel pédagogique, sans aucune directive de l'éducation nationale, ni formation.
La distribution sporadique d'une affiche et d'un numéro vert dans les établissements scolaires ne peut suffire et il vous appartient aujourd'hui d'engager une politique résolument volontariste en incluant dans les programmes scolaires la lutte contre les discriminations en raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre. La référence et la norme ne doivent plus être basées seulement sur l'hétérosexualité mais doivent aussi prendre en compte la diversité, à égalité des orientations sexuelles.
Enfin, les associations LGBT doivent pouvoir accéder aux établissements scolaires pour y entamer des campagnes d'informations, des débats avec les élèves et le personnel pédagogique. Est-il normal que SOS Homophobie soit l'une des rares associations à avoir obtenu l'agrément de l'éducation nationale, et cela depuis le mois de septembre seulement ? Non, assurément !
Un temps de réflexion et de débat doit être organisé chaque année afin de lutter et déconstruire les schémas sexistes et homophobes trop souvent ancrés dans les esprits.
C'est pourquoi l'éducation nationale serait bien inspirée de créer une véritable semaine de lutte contre l'homophobie à l'image de la semaine d'éducation contre le racisme qui, malheureusement, tend à tomber en désuétude.
Il y a urgence à agir car les jeunes adolescents homosexuels sont les plus exposés au suicide. Dans nos cités, ils n'ont de recours et de solution que dans les subterfuges, la fuite ou la rupture familiale.
Une république peut-elle s'enorgueillir de contraindre une partie de sa jeunesse à la clandestinité ? Assurément non, monsieur le ministre !"
Lettre ouverte publiée sur LeMonde.fr et signée par Franck Chaumont, auteur d'Homo ghetto : gays et lesbiennes dans les cités. Les clandestins de la République. Ed. Le Cherche Midi, 2009. Ancien journaliste à Beur FM et RFI puis responsable de la communication de Ni putes ni soumises jusqu'en 2007.